Chapitre 3 : Le début du voyage

1939 0 0

"Es-tu sûr de ce que tu avances ?" 

Myrek, caché à la lisière du bois, observait la hutte devant lui sous le clair de lune. Un courant d'air se fit quand une forme luisante s'approcha de lui en voletant. Elle était plus ou moins de la forme d'une boule, pas plus grosse qu'une tête, laissant traîner derrière elle des volutes de lumière. Tout ceci n'était pas réel, ce n'était que la manière dont les sens du mage percevaient l'âme, c'est pourquoi malgré la lumière émise, ils étaient plus ou moins invisibles dans les fourrés. 

"Je t'ai dis ce que je savais. Une nuit j'ai cru voir l'Ombre et ayant entendu les histoires à son sujet, je l'ai suivie en éteignant ma torche. Voilà où l'homme que j'ai suivi m'a lancé son sort d'amnésie." 

L'âme était celle de Lymel, un fermier du village voisin. Un matin il ne s'est pas réveillé, tué dans son sommeil par l'Ombre, une légende urbaine des environs qui semblait être en fait plutôt réelle. Seulement, il s'avérait que celle-ci n'était en fait qu'un homme pratiquant la nécromancie et cherchant des sujets d'études un peu partout dans la région. Parfois après une de ses apparitions, des morts étaient reportées. Après avoir entendu l'histoire de Lymel, Myrek se mit à penser qu'il pouvait ne pas être le premier à avoir suivi l'Ombre. 

Grâce à ses sens particuliers, il avait senti que quelque chose clochait dans le cimetière de ce village. Connaissant l'histoire de l'Ombre, il ne put empêcher la curiosité de le pousser à vérifier. Et effectivement, il remarqua quelque chose d'étrange. L'âme d'un défunt était toujours présente, piégée dans son corps. Il avait alors sorti de sa besace une de ses statuettes. Des petites figurines en bois imprégnées de magie qui permettaient de se téléporter. Elles n'étaient pas toutes puissantes, cela dit. Elles ne faisaient qu'échanger leur place avec la personne à téléporter, et de plus à usage unique. Mais après quelques téléportations sans retour possible, et des mois de voyages imprévus juste pour retourner à l'endroit où la statuette avait atterri, les mages avaient appris à prendre leurs précautions. Toujours avoir une statuette dans une réserve, et toujours en laisser une derrière soi pour revenir rapidement. C'est pourquoi les mages en avait toujours une ou deux sur eux, plus pour les inquiets. De plus c'était un objet plutôt simple à fabriquer et accessible même aux novices,ce n'était pas une denrée rare. 

Mais l'utilisation que Myrek en fit cette nuit-là ne fut pas vraiment conventionnelle. Identifiant la personne à téléporter par son âme, son attache à la source de la vie qu'est la magie, il put échanger sa statuette avec le corps sous ses pieds, et apparut devant lui le corps de Lymel. Il entreprit alors de le faire léviter, de lancer sur lui-même un sort de saut et retourna dans la chambre qu'il louait au premier étage de l'auberge, dont la fenêtre était ouverte. Allongeant le corps sur le lit, il entreprit de libérer l'âme de son corps et c'est ainsi qu'il fit de l'âme de Lymel son compagnon dans sa traque de l'Ombre. 

Il avait entendu parler de cette légende durant l'un de ses voyages à la bibliothèque de Norothon, la capitale du Grand Duché. Et après un premier voyage dans la région de Merinvieux pour recueillir des témoignages, il ne put se retenir d'y retourner dans l'espoir de rencontrer cette Ombre. Qu'elle ne soit qu'un homme et non une créature surnaturelle ne le déçut pas, au contraire, il serait plus facile de converser avec un homme qu'avec un monstre, car tout ce qui motivait Myrek était la curiosité. Quelle était donc cette magie capable de réanimer les morts ? Il savait que les réanimés existaient, massés au sud du Grand Duché, vestige de la guerre de Namas Cintas, mais personne n'avait jamais pu découvrir quelle magie en était responsable ni comment la reproduire. L'Ombre était le premier homme, à la connaissance de Myrek, à avoir élucidé ce mystère. Il était intrigué et avide de connaissances. 

Mais il n'était pas assez curieux pour se précipiter sans précautions au devant d'un homme passant sa vie à se cacher. C'est pourquoi il avait opté pour la discrétion. L'approche de nuit n'était peut être pas la plus rassurante pour celui qui se faisait approcher, mais elle avait le mérite de permettre de collecter des informations sans se faire repérer. Le seul problème était que la hutte semblait vide de vie. Pas de lumière, aucun bruit, pas de fumée s'échappant de la cheminée. Et il était impossible que l'homme dorme car d'après ses "exploits", il semblait probable que cet homme était un mage, et donc il devait être soumis au même problème que tous les mages, une espèce d'insomnie faisant que ceux sensibles à la magie ne peuvent dormir avant une heure avancée de la nuit. Un problème d'équilibre dans les flux ou autre explication fumeuse du même genre. Les mages n'ont jamais pu résoudre ce problème, seulement le subir. Il était donc fort probable que la hutte soit vide, et Myrek décida de s'approcher, Lymel à sa suite.

Quand il fut à distance raisonnable de la hutte, il put confirmer son premier soupçon par un sort de détection. Il n'y avait aucune vie dedans, et chose étonnante pour la hutte d'un mage, aucune magie à l'œuvre. Il était rare qu'un mage laisse sa retraite sans protection et ils étaient rares ceux qui préféraient les protections plus conventionnelles. 

"Lymel, pourrais-tu entrer et me dire si tu vois des pièges ?" 

Celui-ci répondit par l'affirmative et entra en traversant le mur. Après quelques secondes, il ressorti. 

"Ni homme ni piège, cette hutte est vide et vu la couche de poussière partout, cela doit bien faire quelques mois !" 

Jurant, Myrek se dirigea donc vers la porte et l'ouvrir d'un mouvement vif. La poussière soulevée par le mouvement de la porte fit tousser l'homme mais il se reprit rapidement et observa l'intérieur. 

D'une seule pièce, la petite hutte était encombrée. Un lit dans un coin était adjacent à un bureau noyé sous les livres surmonté d'étagères remplies de bocaux d'herbes. À l'opposé, un petit âtre trônait à côté de sa réserve de bois. Du plafond pendaient quelques plantes grimpantes et mousses. De-ci de-là on voyait quelques plantes en pots, exotiques à cette région du monde. Tout était fané. Enfin, dans le dernier coin, un petit établi d'alchimie témoignait de l'utilisation des plantes autrement que comme décoration. 

Myrek entra et fit rapidement le tour. Il n'y avait plus aucune fiole sur l'établi, des bûches étaient posées dans l'âtre prêtes à être allumées et la réserve pleine, le bureau était rangé en grandes piles de livre, l'un d'eux siégeant seul au milieu du seul espace à peu près vide. Les dizaines de bocaux sur les étagères étaient remplis d'autant de plantes différentes. 

Le mage s'approcha du bureau et jeta un œil aux couvertures des livres. Il repéra des classiques tels que "La malédiction de Namas Cintas", "Cartographie et folklore du Grand Duché", "De l'usage des herbes", "Anatomie du corps humain", mais le seul livre digne d'intérêt était celui seul, au milieu. Il semblait fait main et sur sa couverture, il était écrit "Journal de recherche d'Elyon Verloff". Les mages aiment signer leurs œuvres. 

S'asseyant, il commença à feuilleter le journal. Il était rempli de croquis, de comptes rendus d'expériences de nécromancie, des espoirs et échecs de ce dit Elyon. Enfin, Myrek s'attarda sur la dernière page. 

"Arrivant à la fin de ce carnet, je ne peux que contempler mes échecs répétés. Mes réanimés sont certes habiles, forts, obéissants, dotés des capacités qu'ils possédaient de leur vivant, mais ils ne sont en rien comparables à ceux qui sévissent dans les Landes au sud. Cela fait des centaines d'années qu'ils errent et pourtant ils ne dépérissent pas. Les âmes restent attachées aux corps, comme inséparables, tandis que ma technique de fixation dure au mieux quelques jours. Je dois en apprendre plus, essayer sans pistes ne m'emmènera à rien. La réponse que je cherche doit se trouver au château abandonné. C'est l'épicentre du territoire des morts, c'est de là que doit venir cette malédiction qui les empêche de mourir. Je reviendrai vite avec les réponses à mes questions et qui sait, peut-être parviendrais-je à prendre le contrôle de l'armée de morts ?"

Lymel, lui, étudiait les plantes, quand il vit Myrek s'arrêter sur la dernière page. Il s'approcha alors et lu aussi le texte. 

"C'est donc pour ça que mon âme n'a pas pu quitter mon corps ?

-Je crois, oui, même si je ne comprends pas encore très bien comment. De même que je ne comprends pas pourquoi après t'avoir libéré tu es toujours là. Tu aurais normalement dû ressentir l'attrait de la Porte des âmes… Tu ne ressens toujours rien ?

-Rien de rien, je ne saurais même pas par où aller si je voulais partir ! 

-C'est bien ce que je disais, ton âme est encore accrochée par quelque chose ici. Pourtant je n'arrive pas à savoir quoi, pour moi tu es une entité vivante à part entière sans attache à quoi que ce soit… "

Myrek referma le carnet et le rangea dans sa besace parmi ses propres carnets. Il allongea ses jambes sous le bureau et se mit à réfléchir. 

Que faire, le mage était parti. Alors certes il avait son carnet de recherches, mais ces recherches étaient en grande partie des échecs comme le prouvait la présence de Lymel en tant qu'âme et non en tant que réanimé. De plus, il était parti à l'un des endroits les plus dangereux du continent voir du monde entier ! Le château abandonné, Namas Cintas, avait autrefois déclaré la guerre au Grand Duché. La guerre fut longue et épuisante pour les belligérants, ainsi, lors de la bataille finale, toutes les forces des deux armées étaient rassemblées. La bataille fut une vraie boucherie pour Namas Cintas qui fut surpris par une attaque à revers des Gelondois noyant les Landes de sang. Alors la légende raconte que la lande se vida subitement de vie, les plantes dépérirent, la terre se craquela, et un sort puissant fut lancé. Les Cintins morts se relevèrent et remportèrent la bataille. L'armée des morts s'arrêta à la limite du territoire de leur pays, et restèrent dans les Landes à déambuler sans but. Des expéditions plus tard découvrirent que le pays entier était devenu à l'image de son armée et que la capitale et son château étaient devenus une ville de réanimés. Les expéditions les plus téméraires essayèrent d'entrer dans la ville pour piller les richesses de celle-ci, mais aucune n'en ressortit jamais. Et Eylon y est allé quérir des réponses que Myrek voulait aussi posséder maintenant qu'il s'était intéressé au sujet. De plus, de quoi était-il question quand il parlait de "commander l'armée des morts"? 

Celui-ci réfléchit quelques instants puis se leva, décidé. 

"Lymel, m'accompagnerais-tu à Namas Cintas ?" 

Please Login in order to comment!